samedi 20 février 2016

Frédé et son Aliboron ( 1902- 1938)

La vie Montmartroise de Frédéric Gérard dit le père Frédé
Vers  1900 sa vie Gabinienne mise entre parenthèse,  il commença sa vie de bohème à Montmartre.  Frédéric Gérard était un habitué des rues de Montmartre qu'il arpentait avec son âne " Lolo " en qualité de vendeur de quatre saisons. En 1901, pour exercer ses talents de chanteur et de  guitariste, il reprend à bas prix un cabaret fondé en 1900 par l'anarchiste Gilbert Lenoir, Le Zut, au 28 rue de Ravignan, nommé ainsi en hommages aux zutistes de Charles Cros.
 Il arrive au Lapin Agile en 1903 avec son âne "Lolo " qu'il utilise pour vendre du poisson dans les rue de Montmartre pour compléter ses revenus. Chaque matin à l’aube, déguisé en pêcheur breton, il allait se ravitailler aux Halles. Il en revenait avec son âne Lolo chargé de paniers pleins de poissons. À leur réveil, les ménagères l’entendaient crier la marée dans les ruelles.
Le voici devant le Lapin Agile montrant quelques-unes de ses œuvres à Marguerite, dite Margot fille de sa nouvelle compagne,  et future Madame Mac Orlan.
Frédé présente les caractéristiques et les qualités d’un artiste "touche à tout", tantôt potier, tantôt musicien tantôt chanteur.
 
Mais aussi musicien,


 






Il aime prendre sa guitare et chanter des chansons réalistes, qu'écoutent avec amitié à défaut d'admiration les habitués... tandis que Lolo, dans le jardinet de la rue des Saules, ponctue de ses braiements le tour de chant de son maître... 
Le père Frédé, potier le matin, chansonnier le soir, anime les soirées du cabaret, il chante et fait chanter les uns, déclamer les autres, chacun récite ou reprend en chœur les chansons populaires.





Aristide Bruant, toujours client régulier du Lapin Agile se lie d'amitié avec le tenancier, et lorsque le bâtiment est promis à la démolition en 1913, il le rachète et laisse « Frédé » en assurer la gérance et l’animation.
Sa forte personnalité imprime une impulsion déterminante au cabaret  et donne une nouvelle vie au Lapin Agile.



Le lapin Agile devient le temple des chansonniers et des artistes , c’est le lieu de rendez-vous des écrivains, poètes et peintres montmartrois jusqu'à 1914 : Picasso, Utrillo, Derain, Braque, Modigliani, Guillaume Apollinaire, Max Jacob, André Salmon, Pierre Mac Orlan, Francis Carco, Roland Dorgelès, Gaston Couté, Jules Depaquit, Caran d'Ache, Forain, Jehan Rictus, Charles Dullin….
 Mais les artistes ne sont pas seuls à fréquenter le Lapin Agile : ils côtoient des anarchistes du Libertaire, avec lesquels la cohabitation est parfois tendue, et surtout des criminels venus du Bas Montmartre et du quartier de la Goutte d'Or. La tension devint plus vive encore à partir du moment où Frédéric Gérard, qui voulant créer une clientèle d'artistes, décida de chasser ces voyous  indésirables. Il n’était pas rare que des coups de feu furent tirés dans son cabaret !!!
Dans son roman Le Château des brouillards, Roland Dorgelès mentionne ces incidents. La violence devait atteindre son paroxysme en septembre 1911, lorsque l’ainé des garçons de Frédé, Victor fut abattu d'une balle dans la tête derrière le bar à l’âge de 25 ans!!!    
Frédé, inspire le personnage de Frédéric du "Quai des Brumes" de Mac-Orlan porté au cinéma par Carné. Une bagarre mémorable se retrouve également dans le film, celle qui éclate un soir de 1902, dure toute la nuit et se termine par un véritable siège à la suite duquel  le cabaret est fermé par la police.
Une partie du film a été tournée au Lapin Agile, mais c'est bien de la bagarre du "Zut" qu'il s'agit...

Frédé et Lolo à saint Cyr
 Dès 1902, Frédé  aimait se retirer les week-ends à la campagne en Seine et Marne dans une maison briarde d’un  petit hameau de saint-Cyr sur Morin, près de la Ferté sous Jouarre









À partir de 1912 le groupe d’artistes habitués au Lapin Agile, admirateurs de Frédé quitte la butte en fin de semaine pour se transporter en bande jusqu’à Saint-Cyr sur Morin, non pour y respirer l’air pur, mais pour retrouver à l’auberge de « l’œuf dur », l’ambiance festive du  cabaret montmartrois, fermé le dimanche.
Auberge de l'oeuf dur 2014
Mais la guerre arrive, beaucoup d'artistes sont mobilisés, certains ne reviendront pas.
Bruant et Frédé
La vie montmartroise est en veilleuse et après la guerre, elle sera concurrencée par Montparnasse... Paulo, le fils de Frédé va prendre la relève en 1922 quand Bruant qui a fait de lui son élève et lui a appris à chanter ses poèmes, lui cède le Lapin. 

Frédé voit peu à peu disparaître le vieux Montmartre et pousser les immeubles sur les cabanes du Maquis.  
Son fils anime avec succès le Cabaret du Lapin , sa santé se dégrade , Lolo gravit plus difficilement les rues en pente, Frédé décide, alors, de se retirer à Saint-Cyr sur Morin, dans sa maison des Armenats.
Au cours de ses vagabondages, Lolo  tombe dans le petit Morin et se noie ; certains racontent qu’il a voulu retrouver une ânesse sur l’autre rive, d’autres diront que dépressif d’avoir quitté la vie de bohème montmartroise il s’est suicidé, mais ce qui est sûr c’est qu’il est enterré dans la propriété de Frédé aux Armenats.

La maison des Armenats 2015

Cimetière de Saint-Cyr 
Quant à Frédé, il  décède au Lapin Agile à l’âge de 78 ans le 17 juillet 1938 ;  son fils Paulo, l’a selon ses volontés,  fait enterrer   dans le cimetière de Saint-Cyr sur Morin.

PAULINE GERARD née Gacogne ( 1866-1915)

PAULINE GERARD née GACOGNE
L'école du centre en 1900
Frédé à Montmartre , Pauline seule à Gagny avec ses six enfants obtint le poste de gardienne de l'école du centre.

Ses quatre fils, chacun à l’âge de onze ans, leur certificat d'étude en poche, sont mis successivement en apprentissage. Fernand dans la maroquinerie, Paulo dans la reliure, Marcel dans l’imprimerie, et en 1908, Victor, après son service militaire, rejoignit son père Frédé au Lapin Agile.

La pauvre Pauline après avoir perdu la dernière de ses enfant Aline âgée de sept ans en 1900, puis son fils Victor en 1911, blessé mortellement au lapin Agile, voit partir ses trois autres fils  à la guerre en 1914. Malgré son courage, submergée par le chagrin, elle décéda le 2 mars 1915 à Gagny,  sept mois après la déclaration de guerre. 
Ses trois fils soldats n’ont pas pu venir à l’enterrement.
Paulo, le petit dernier, l’apprit sèchement par un télégramme.
Paulo (1915), le brassard au bras en signe de deuil

Paulo évoquait, les larmes aux yeux, ces moments si douloureux passés dans la boue des tranchées. 
Fernand , mon grand-père ne parlait jamais de cette guerre atroce.





Cet enterrement quasiment municipal tant elle était aimée et considérée fut relaté à l'époque dans le journal.

Jeudi dernier, une cérémonie funèbre des plus imposantes dans sa simplicité avait lieu dans notre commune. Un catafalque dressé au milieu de la grande porte de la grille des écoles communales, recouvrait les restes d’une de nos concitoyennes très estimée, Mme Gérard attachée au service de notre commune depuis de longues années tout spécialement à celui de nos écoles.
Qui ne la connaissait! elle est morte subitement mardi 2 mars, après avoir la veille même distribuer comme elle le faisait chaque jour le bouillon de la cantine. Rien ne faisait prévoir un tel événement aussi la consternation dans le pays était-elle générale.
La municipalité a tenu à lui rendre les derniers devoirs comme témoignages d'estime et de regrets. Une couronne lui a été offerte portant cette inscription : « A Madame Gérard », la cantine municipale reconnaissante. 
Une deuxième a été offerte par le vice président et le trésorier de la caisse des écoles. Bon nombres d'autres émanant de diverses souscriptions des enfants de nos écoles, mais certes la plus touchante a été, sans contredit, celle faite par les déshérités, ceux ou celles venant chaque jour matin et soir   recevoir le bouillon et le bœuf que la brave femme leur distribuait si gracieusement depuis le début de la guerre, c'est-à-dire depuis  le 1er  août 1914. La collecte a produits 6 francs et quelques centimes. C'est superbe. Cela nous prouve le cœur de ces pauvres gens qui ont voulu quand même donner à celle qui les servait depuis sept mois, un témoignage de reconnaissance.
Après l’arrêt à l'église le convoi s'est dirigé au cimetière où les enfants des écoles entourèrent le caveau provisoire où la défunte fut déposée. Là un discours fut prononcé par Monsieur Lhomme premier adjoint vice président de la caisse des Ecoles : Mesdames Messieurs,
La commune de Gagny est terriblement éprouvée depuis l'événement douloureux que nous traversons outre un grand nombre de ses enfants tomber glorieusement au champ d'honneur certains autres sont plus ou moins grièvement blessés. Nous avons encore à déplorer la mort de plusieurs chefs de famille,  enlevés à l'affection de leur foyer. Aujourd’hui, celle qui disparaît que j'appellerai la mère des malheureux était encore à son poste lundi soir. Pouvais je jamais pensé lorsqu'il y a trois jours je prenais congé de Madame Gérard, après le service de distribution du soir effectué, que je la retrouverai le lendemain matin étendu sur son lit de mort. Cruel destin, voilà de tes coups. Est-il possible d’admettre que cette femme si vive, si alerte, qui depuis le début de la guerre le 1er août , s'était multipliée par son labeur constant à remplir la lourde tâche confiée à ses soins. La municipalité ayant transformé la cantine scolaire en cantine municipale. Madame Gérard spontanément c'est mise a besogne de tout cœur préparant et servant la nourriture à plus de 500 personnes par jour. Elle  accomplit cette fonction sans arrêt pendant sept mois.
Est-il croyable qu’à l’heure actuelle nous sommes réunis ici pour saluer sa dépouille mortelle ? O femme aussi modeste qu'énergique je m'incline respectueusement devant ce cercueil.
La guerre, je le crains n'a pas été étrangère au coup mortel qui l’a frappée. Mère admirable, elle ne pensait et ne vivait que pour ses enfants. Le départ de son fils Paul, le dernier appelé, a produit sur elle une révolution intérieure qui lui faisait chaque jour “Maudire le Tyran“ qui a déchaîné sur notre pays tant de ruines et fait tant de victimes. Avec quelle impatience la chère femme attendait les nouvelles de ses trois fils. Quelle anxiété dans l'attente.  Quelle joie à  l'arrivée !… Mme Gérard a été une femme précieuse pour la commune. Depuis nombre d'années, elle s'occupait des classes de nos écoles ; du nettoyage, du chauffage etc.
Enfant du pays, connaissant tout le monde, elle était vraiment maternelle, avait pour tous un mot aimable, sachant au besoin réprimander lorsqu'il y avait lieu. Que des fois que deux fois l'avons-nous remarqué à nos promenades scolaires.
En 1908 lors de sa création de la cantine scolaire, Madame Gérard s'est mise à la disposition de la caisse des Ecoles, accepté avec empressement la charge de cuisinière. Il fallait la voir à la distribution des aliments, accompagnée de son aide,  avec quel entrain elle servait aux enfants les mets préparés.
Bon nombre de ceux qui sont venus lui rendre les derniers devoirs n'ont pas oublié sa maternelle sollicitude. Combien j'ai apprécié son dévouement dans ce service de cinq mois d'hiver où, toujours préoccupée de son petit monde, elle n'avait de repos et de réelle satisfaction, que lorsque les enfants bien lestés, allaient s’ébattre dans les préaux en attendant la classe.
 M. le Maire a bien voulu me déléguer et être son interprète pour parler au nom de la Municipalité. Que pourrais-je dire de plus que ce qui vient d'être dit, ce que nous pensons tous.
Madame Gérard n’a cessé de prêter un concours dévoué à la commission. Que ce soit pour la caisse des écoles, la Société Musicale, la  Société des commerçants, celle des Pompiers, elle était toujours là, remplissant ces diverses fonctions avec sa bonne humeur accoutumée.
Elle a tenu une grande place dans sa modeste situation.
La commune lui doit de la gratitude. Aussi s'est-elle fait un devoir de lui prouver.
En son nom j'exprime à ses enfants nos sentiments de vives condoléances et de sincères regrets. De longtemps ne pourrons la remplacer. Personnellement je dois à ses enfants présents et absents un salut ému et respectueux. Chers enfants, vous pouvez être fiers de votre mère, elle a vécu et travaillé uniquement pour vous.
Je puis en parler. Depuis sept mois j'ai pu la juger et apprécier. Les fleurs et couronnes qui couvrent ce cercueil sont un témoignage éclatant d'unanimes regrets.
Repose en paix cher et bonne Madame Gérard. 
­­Adieu !––